Appel téléphonique

Frédéric Danos s'est livré à une expérience curieuse à propos de son film inachevé, J'ai mis 9 ans à ne pas terminer. Présent dans la salle, l'artiste en montre des fragments ou des séquences lors de séances publiques en ponctuant leur projection du récit de ses difficultés à achever l'œuvre. La forme rappelle celle du film conférence, proche des performances de Jean-Marc Chapoulie, ironique et grave. Désireux au départ de réaliser un film documentaire d'inspiration sociale et politique, questionnant les paradoxe d'un conflit ouvrier, il prend conscience de l'imprécision de sa position, s'interroge sur ses motifs profonds, revient sur la question de la communauté à travers la place de la famille et la ressemblance avec le père. Le documentaire devient un journal filmé, relatant joies et crises sentimentales, dans des saynètes aux styles parfois très différents. La forme désinvolte de son discours, déroutante par sa construction et ses digressions, passant de la description factuelle à la fable, laisse deviner peu à peu un propos cohérent. Plus récemment, le film a rencontré une forme bonimentée au téléphone. Le spectateur est invité à réserver sa séance sur le site de l'artiste. À l'heure dite, pour une séance personnalisée, il reçoit une appel de l'auteur qui lui raconte son film et l'invite à activer sur son ordinateur des séquences. Il est même possible de converser avec le cinéaste. Cette forme bonimentée au téléphone renouvelle les modes d'adresse au spectateur. Si le dispositif renoue avec le visionnage individuel caractéristique du kinétoscope d'Edison, l'auteur reste au bout du fil. Souvenons-nous des premières répliques d'Une Sale histoire : «Dis-moi, je n'ai pas très bien compris où tu voulais en venir au téléphone, tu m'as parlé d'un film, d'un scénario», et des conversations de la monteuse dans L'Automne [de Marcel Hanoun]. Pensons au film de Robert Sabatier, Adaptation (1977), constitué «d'une part, d'éléments visuels transmis à des tiers uniquement par l'envoi de cartes postales et, d'autre part, d'éléments sonores formulés par l'intermédiaire d'un appareil téléphonique». Croiser la narration autobiographique avec le théorique produit un effet de surprise par la sorte d'électricité qui fuse entre l'émotion et la pensée. Le film boniment est-il un appel téléphonique adressé au spectateur, nous invitant à sortir du cinéma en parlant ?