# 1 (de retour
ou
• l'artiste comme ramasse-miettes
• l'art comme maison de retraite
• le droit à la dépression active)
j'étais à 16:30 sur le parvis du centre Georges Pompidou. Je me suis
installé en haut à gauche derrière les portraitistes indiens, craignant
une maffia — qu'est-ce que tu fous là, on te connais pas, tu connais
qui, barre-toi ; casser le tabouret, déchirer l'ergono-étal —, mais
non rien, tout le monde peut venir s'installer. J'attends. Je raccole
un peu :
monsieur! votre nom en français
ça va je suis français
oui, mais, là, c'est moi qui vous l'écrit
je sais écrire
je n'en doute pas, je vous propose que cette fois-ci ce soit moi
mais ça sert à rien non merci
offrez votre nom en français à votre amie, 1€ c'est pas cher
non merci
D'autres viennent me demandent de quoi il s'agit acceptent et repartent
avec leur nom écrit au feutre noir (pointe fine) sur une feuille a4
roulée maintenue par un élastique. Ils seront sept.
vers 17:00, trois agents de police me demandent de partir, je n'ai pas
le droit d'être ici. Je montre les portraitistes devant moi, pourquoi
eux et pas moi. Eux sont portraitistes, les noms en chinois, en français,
en ce que vous voulez sont interdits, vous avez cinq minutes. Ils s'éloignent.
J'allais obtempérer. Mais un type commence un spectacle dans la pente
du parvis juste à côté de moi, et puis je me dis qu'en écrivant le nom
de quelqu'un sur un papier, je fais son portrait. Donc je reste et quand
les flics reviendront je leur demanderais comment l'arrêté préfectoral
n° 81-10425 défini un portraitiste. Ils repassent deux heurs plus tard.
Entre-temps, deux trois portraitistes sont venus voir ce que je faisais,
respectueux de la démarche, l'un d'eux dira même à un petit groupe d'étudiants
qui trouvent cela inutile et con que c'est courageux ce qu'il fait.
Les flics sont de retour, pas très contents. J'essaye de discuter avec
eux, de faire valoir mon point de vue sur ce qu'est aujourd'hui un portraitiste
(et mon intention en produisant cette situation n'était pas de soulever
cette question mais seulement d'activer une pulsion dépressive). On
ne discute pas avec la police ; l'une d'entre eux me dit arrêté préfectoral
n° 81-10425 réglementant les activités dans les zones piétonnes,
mais refuse de me citer un passage me concernant. Les passants s'arrêtent,
se massent autour de nous, écoutent, les flics n'aiment pas ça, ils
me demandent mes paipers, je ne les ai pas, ils décident de m'emmener
pour un contrôle d'identité. Héléna arrive et prend une photo. Je remballe
en continuant à argumenter, je cherche des appuis dans la foule, je
vois Joël Hubaut mais ne peut me souvenir de son nom, je dis le montrant
du doigt vous pouvez lui demander à lui si je ne suis pas portraitiste
en faisant ce que je fais, il dit hein! quoi ? qu'est-ce qu'il
se passe ? mais les flics m'emmènent. Dix minutes plus tard, je
suis relâché sans P.V.
Lundi je me suis procuré l'arrêté 81-10425. Non sans mal : la préfecture,
n'ayant pas que ça à faire d'ouvrir ses archives à n'importe qui,
m'envoie au journal officiel qui dit "on ne s'occupe pas des arrêtés
préfectoraux", retour à la préfecture, monte, descend, insiste
et trouve le bureau de la documentation qui dit "ben, oui, pas
de problème, vous voulez que je vous fasse une photocopie ?" J'apprends
qu'il faut faire une demande d'autorisation auprès des services du préfet.
L'arrêté en question réglemente les étalages et terrasses sur la voie
publique, en 15 articles dont la plupart précise les dimensions des
étals, des passages… l'article 3 dit : Conformément aux règlements
sanitaires dans les voies et zones réservées aux piétons, hormis certains
lieux et certaines heures déterminées par arrêté portant dérogation
spéciale, les activités musicales et les attractions de toute nature
sont interdites. L'article 5 dit : Dans les mêmes voies et zones,
aucun commerce non-sédentaire ne peut être excercé.
Donc ça ne me dit toujours pourquoi les flics ne m'ont pas demandé si
j'avais une autorisation et pourquoi ils m'ont balancé cet arrêté dans
les pattes puisque, apparemment, le parvis du Centre bénéficie d'une
dérogation. D'ailleurs : dérogation pour le lieu, autorisation pour
le portraitiste, lequel des deux à valeur de loi ? On me répond tou
et n'importe quoi. À l'Hôtel de Ville on me dit que seuls les peintres
de la Place du Tertre sont soumis à une autorisation de la municipalité,
que tous les autres sont illégaux. Je demande au Centre G Pompidou :
non, il n'y a pas d'autorisation délivrée aux caricaturistes et portraitistes
de la Piazza (qui est propriété du centre). Dans les archives du Bulletin
Municipal Officiel, je trouve l'arrêté 84-10422 réglementant les
animations dans le secteur du cenre national d'art et de culture Georges-pompidou
: art.1, les animations bruyantes blablabla sont interdites ; art.2,
en aucun ces animations ne doivent gêner la circulation des piétons
ni l'accès au centre ; les activités commerciales non-sédentaires demeurent
interdites dans le périmètre coformément aus dispositions de de l'article
5 de l'arrêté 81-10425 (voir paragraphe précédent-ndlr).
Vous avez compris : la vie est belle. Il y a une tolérance envers les
portraitistes et autres démonstratifs du crayon, pinceau, pastel, aérosol,
gérée au jour le jour par les agents de police pour que l'endroit ne
soit pas encombré et garde un cachet artistique et bohême (louée en
soit la préfecture !). Écrire un nom sur une feuille A4 et se réclamer
du portrait n'y est pour l'instant pas reconnue. Je tiens là une croisade,
inutile et fatale, qui va m'occuper quelque temps et me permettre de
ne pas faire les choses que j'ai déjà tant de fois remises au lendemain.
J'ai fait une demande d'autorisation d'exercer le portrait au DCTC bureau
n°1345 et je retournerais sur le parvis du Centre Georges Pompidou pour
une situation #1 bis les samedis 26 octobre ou 2 novembre, suivant réponse.
Même si négative.
--
frédéric